Comme pour tous les pays très anciens, les origines de l’Arménie sont mal connues. Selon la tradition biblique, les Arméniens seraient les descendants de Hayk, arrière-arrière-petit-fils de Noé, dont l’arche aurait échoué sur le mont Ararat après le Déluge. En l’honneur de leurs légendaires ancêtres, les Arméniens appellent depuis leur pays Hayastan, ou “terre de Hayk”. Les Arméniens sont mentionnés pour la première fois chez les Grecs au VIe siècle av. J.-C. comme tribu vivant dans la région du lac de Van.
Les hauts-plateaux arméniens situés au nord du Croissant fertile étaient habités de longue date. Les historiens estiment que les avancées technologiques locales en matière d’exploitation minière, de chimie et de métallurgie ont grandement contribué à l’établissement de cette civilisation. Du fait de routes d’invasion ouvertes dans quatre directions, les premiers rois arméniens ont dû lutter de façon
intermittente contre la Perse et les puissances méditerranéennes. Ainsi, les cultures grecque et romaine se sont mêlées à la religion perse et au zoroastrisme.
Au Ier siècle av. J.-C., les frontières de l’Arménie atteignirent leur plus vaste étendue. Les victoires de Tigrane II le Grand sur les Séleucides lui apportèrent des territoires allant du Liban actuel à la Syrie et à l’Azerbaïdjan.
La chrétienté et l’écrit
Les missionnaires chrétiens, dont les apôtres Thaddée et Barthélemy, évangélisèrent les villages arméniens dès l’an 40. Selon la tradition, le roi Tiridate III d’Arménie fit du christianisme la religion d’État en 301. Il aurait eu une révélation après avoir été soigné de la folie par saint Grégoire l’Illuminateur. Celui-ci avait passé douze ans emprisonné dans une fosse infestée de serpents. La fosse se trouve maintenant sous le monastère de Khor Virap. Selon la version accréditée par les historiens, Tiridate s’efforçait plutôt de créer une unité nationale en écartant le zoroastrisme perse et le paganisme romain. Quoi qu’il en soit, l’Église reste depuis un pilier de l’identité arménienne.
La nation doit un autre de ses piliers fondateurs à Mesrop Mashtots, créateur en 405 de l’alphabet arménien. Les 36 caractères d’origine avaient également une valeur numérique. L’alphabet devint donc rapidement indispensable aux négociants. Dans le même temps, les érudits du Moyen Âge traduisirent des textes scientifiques et médicaux tirés du grec et du latin.
Royaumes et conquérants
Les influences politiques romaine et perse durent céder le pas devant de nouveaux pouvoirs. Constantinople s’empara de l’Arménie occidentale en 387, et les Sassanides prirent l’Arménie orientale en 428. Les Arabes arrivèrent vers 645. Bagdad exerça une pression de plus en plus forte en faveur de la conversion à l’islam. Les Arméniens qui refusaient se voyaient taxés à un point tel que beaucoup se réfugièrent dans des territoires sous domination romaine. Ils vinrent ainsi grossir les rangs de la diaspora.
Les conditions se firent plus favorables au IXe siècle. Le calife régnant accepta de reconnaître un roi arménien ressuscité dans le roi Achot Ier, premier membre de la dynastie des Bagratouni. Ani (aujourd’hui en Turquie) servit un temps de capitale. Divers envahisseurs, dont les Seldjoukides et les Mongols, pillèrent l’Arménie, la gouvernant et la divisant tour à tour.
Au XVIIe siècle, les Arméniens étaient disséminés dans l’Empire ottoman et en Perse, et des communautés de la diaspora étaient établies de l’Inde à la Pologne. Les Arméniens ont rarement vécu dans un empire unifié. Ils restèrent toutefois dans de lointaines provinces montagneuses. Tandis que certaines prospéraient, d’autres se dépeuplaient. Des siècles durant, le siège de l’Église arménienne erra d’Echmiadzin au lac de Van et plus à l’ouest encore.
La question arménienne
Avec la victoire russe sur l’Empire perse, vers 1828, le territoire de la République arménienne actuelle passa sous le joug chrétien. Les Arméniens commencèrent donc à rentrer au pays. En dépit des tentatives des autorités tsaristes pour briser l’indépendance de l’Église arménienne, l’environnement restait préférable à celui de la Turquie ottomane. Lorsque les Arméniens ottomans réclamèrent davantage de droits, le sultan Abdulhamid II fit massacrer 80 000 à 300 000 d’entre eux, en 1896.
Les puissances européennes avaient souvent débattu de la “question arménienne”, considérant les Arméniens comme un peuple chrétien vivant dans l’Empire ottoman. Pendant la Première Guerre mondiale, certains Arméniens ottomans se rangèrent aux côtés de la Russie dans l’espoir d’établir leur propre nation. Le triumvirat de pachas qui avait obtenu de force le contrôle de l’Empire considéra cet acte comme déloyal. Il ordonna donc la marche forcée de tous les sujets arméniens dans les déserts syriens. Ce qui est plus incertain, et sujet à controverse à ce jour, a trait aux pogroms et au décret
d’extermination des Arméniens que ces gouvernants auraient également ordonnés. Aujourd’hui, les Arméniens assurent que l’ordre a bien été donné de perpétrer un génocide. Les Turcs le nient farouchement. Un fait demeure : entre 1915 et 1922, environ 1,5 millions d’Arméniens ottomans ont péri.
Après la Révolution russe de novembre 1917 et le départ des troupes russes du front ottoman, la première république indépendante arménienne vit le jour, en 1918. Aussitôt, elle dut affronter l’arrivée massive de réfugiés affamés, l’épidémie de grippe espagnole, et des guerres avec ses voisins turcs, azéris et géorgiens. Elle repoussa l’envahisseur turc en 1918, et abandonna le tracé final de la frontière à Woodrow Wilson, président des États-Unis. Pendant ce temps, les Turcs, rassemblés par Mustafa Kemal (qui prit plus tard le nom de Kemal Atatürk), envahirent certaines régions du Caucase du Sud. Le tracé territorial proposé par Woodrow Wilson ne bénéficia d’aucun appui international ou militaire. Dans le même temps, Atatürk proposa la paix à Lénine en échange de la moitié de la nouvelle République arménienne. Assailli par de nombreux autres ennemis, Lénine accepta.
Le gouvernement arménien, avec à sa tête les Dashnaks, parti arménien indépendantiste, capitula devant les Bolcheviks en 1921. Cette reddition avait pour but de préserver les ultimes provinces de l’ancienne Arménie. Le régime soviétique fit alors du Karabakh et du Nakhitchevan des régions autonomes appartenant à l’Azerbaïdjan. Chassés de chez eux, des centaines de milliers de survivants du génocide se réfugièrent en Syrie et au Liban, sous domination française, ou émigrèrent en masse en Afrique du Nord et en France. De manière tout à fait remarquable, les Arméniens restés sur place se mirent à reconstruire, érigeant Erevan dans les années 1920. Sur la fin de l’ère soviétique, l’Arménie s’en sortit plutôt bien, développant de nombreuses industries technologiques et instituts de recherche.
L’indépendance
Au cours de la glasnost (“ouverture”) de Gorbatchev, le problème du Karabakh, enclave d’Azerbaïdjan à majorité arménienne, fit passer au premier plan une nouvelle vague de dirigeants. Les Arméniens votèrent pour l’indépendance le 21 septembre 1991. Levon Ter-Petrossian, intellectuel de 40 ans et dirigeant du Comité Karabakh, fut élu président. La guerre avec l’Azerbaïdjan au sujet du Karabakh éclata au moment même où l’économie plongeait en chute libre.
Après la guerre, en raison de rumeurs de coups d’État et de tentatives d’assassinat, Levon Ter- Petrossian annula les droits civiques et envoya en prison des leaders dashnaks et combattants de la guerre du Karabakh. Certains y demeurèrent trois ans en tant que prisonniers politiques. Levon Ter- Petrossian fut réélu en 1996 pour un nouveau mandat de cinq ans. Toutefois, isolé et très impopulaire, il démissionna en 1998.
Robert Kotcharian, héros de la guerre originaire du sud du Karabakh, lui succéda en mars 1998. Entré en guerre avec un tank, il en capitalisait treize de plus au moment du cessez-le-feu. Il ne tarda pas à courtiser la diaspora pour la faire revenir, en particulier l’influente faction dashnak.
À la fin des années 1990, une nouvelle classe de riches barons de l’importation est apparue. Le contraste avec la pauvreté qui régnait dans le pays était saisissant. La colère suscitée par ces disparités est en partie responsable du terrible massacre perpétré à l’Assemblée nationale en 1999. Hurlant que les barons buvaient le sang de la nation, des hommes armés assassinèrent huit parlementaires et en blessèrent six autres. L’événement déclencha une vague d’émigration ainsi qu’un ressentiment durable. Toutefois, en 2001, le 1700e anniversaire de la fondation de l’Église arménienne marqua en quelque sorte un tournant dans la destinée du pays. Si le souvenir des souffrances et des bouleversements qui ont eu lieu depuis l’indépendance reste vif, le rapide renouveau économique de la première décennie du XXIe siècle a mis du baume au cœur des Arméniens.
Arménie, terre de résilience