Traditionnellement, la population est structurée en lignages, ce regroupement autour d’un ancêtre commun est dirigé par un chef. Cette structure n’est pas attachée aux sols mais aux personnes. Les populations parlent la même langue, se marient entre eux… Il n’y avait pas de séparation ethnique entre Hutu et Tutsi, car c’est bien une fabrication coloniale.
A leur arrivée, les colonisateurs allemands, puis belges cherchèrent à comprendre cette société extrêmement mobile qui ne correspondait pas aux critères européens. Ils cherchent à classifier les populations en fonction de leurs activités, de leur physique… Ils sont très impressionnés par la monarchie rwandaise, et s’accordent à considérer cette catégorie, les « Tutsi », comme supérieure.
Selon les colonisateurs, les « Tutsi » sont plus grands, plus clairs de peau, ce qui les rendrait plus aptes à diriger. Les colons vont donc s’appuyer sur les « Tutsi » pour mettre en place une administration coloniale. Il se crée ainsi une différenciation ethnique totalement artificielle issue du regard du colonisateur. Cette différenciation au départ théorique entre « Hutu » et « Tutsi » devient réelle dans l’organisation coloniale de la société. L’accès aux avantages, à l’enseignement, aux postes administratifs est réservé au « Tutsi ». Peu à peu, les différenciations basées sur de prétendues analyses rationnelles sont intégrées par les populations.
Les termes de « Hutu » et de « Tutsi » sont alors revendiqués par les Rwandais, et entrainent donc une différenciation effective de la société entre ces deux groupes. Selon l’histoire enseignée durant la colonisation, les Hutu majoritaires sont des fermiers d’origine bantou. Les Tutsi sont un peuple pastoral qui serait arrivé dans la région au XVe siècle depuis les hauts-plateaux éthiopiens. Un troisième groupe, les Twa, seraient les représentants des premiers colons de la région et plutôt proches des Pygmées.
Ces théories sont désormais fortement remise en cause et l’on tend aujourd’hui à considérer que les colonisateurs belges des années 1930, négligeant les références claniques, ont interprété de façon ethnique la structure socio-professionnelle de la population, et ont forgé une histoire pseudo-scientifique là où s’arrêtait la mémoire orale de la culture rwandaise.
Jusqu’en 1959, la « caste » dominante dans un système féodal basé sur la possession de troupeaux était majoritairement issue des Tutsi. Les décennies passant, la domination des Tutsi sur les Hutu est de plus en plus dénoncées par la majorité hutu, comme ce fut notamment le cas de neuf intellectuels hutu dans un texte publié le 24 mars 1957, le Manifeste des Bahutu. Puis, en 1959, les velléités d’indépendance des Tutsis incitent les Belges à renverser leur alliance au profit des Hutu, ce qui entraîne la chute de la royauté tutsie et la prise du pouvoir par les Hutu. Il s’ensuit une vague d’émeutes et de pogroms qui entraîne un exil de milliers de Tutsis.
Constitution de la première république et élection de Grégoire Kayibanda, un hutu, à la présidence de la République en 1961. Le nouveau régime dut affronter à plusieurs reprises des attaques des exilés tutsi, qui provoqueront de violentes répressions sur les Tutsi de l’intérieur, notamment en décembre 1963 où plusieurs milliers de Tutsi furent massacrés.
En 1973, le pouvoir de Grégoire Kayibanda s’affaiblit. Pour maintenir l’unité politique, instrumentalisant les massacres de masse dont furent victimes les Hutu du Burundi en 1972, il justifie la crainte d’une menace des Tutsi rwandais. Les Tutsi, élèves et professeurs, sont systématiquement expulsés de l’enseignement, quelques uns massacrés dans les établissements scolaires. Ces événements provoquent une nouvelle vague d’exode des Tutsi. Exploitant ces événements, Juvénal Habyarimana renverse immédiatement Grégoire Kayibanda en juillet 1973, puis fonde un parti en 1975, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND).
La même année, le président français Giscard d’Estaing signe un Accord d’Assistance Militaire Technique avec le gouvernement rwandais, ce qui permet le transfert d’armes de la France vers le Rwanda. Entre 1987 et 1994, des livraisons régulières d’équipement militaire vers le Rwanda seront effectuées par la France pour une valeur de 591 millions de francs1. En 1978, Habyarimana change la Constitution et fait adopter un régime à parti unique, le MRND, dont tous les rwandais sont membres d’office.
Les exilés tutsi s’organisent et créent le Front patriotique rwandais (FPR) en 1987. Le 1er octobre 1990, venant de l’Ouganda, le FPR entre en force au nord du Rwanda. Le Zaïre, dont les troupes seront les seules à combattre le FPR, et la Belgique interviennent brièvement pour aider le régime en place à combattre ce qui est présenté comme une agression extérieure venue de l’Ouganda. La France organise quant à elle l’opération Noroît qui sera maintenue jusqu’à la mise en place des troupes de l’ONU (MINUAR commandée par le général Dallaire) en décembre 1993. La légalité de l’opération Noroît est contestable, comme le reconnaîtra le général Quesnot dans une note du 26 juin 1994 adressée au président Mitterrand2. Le ministre de la coopération Robert Galley témoignera que l’armée française a bien été utilisée afin de stopper l’avancée du FPR3.
Le nombre officiel de militaires français participant à Noroît atteindra 688 personnes4. Des milliers de Tutsis sont aussitôt emprisonnés. Alors que les compagnies parachutistes Noroît se déploient au Rwanda, l’armée rwandaise massacre 1000 Bahimas (apparentés aux Tutsis) à Mutara, et 348 Tutsis dans la région de Kibilara5. Le 15 octobre 1990, l’ambassadeur de France au Rwanda, Georges Martres, adresse un télégramme au chef d’état-major particulier du président Mitterrand, dans lequel il mentionne le risque d’un génocide contre les Tutsis6. Malgré cet avertissement, le gouvernement français va continuer d’aider le régime d’Habyarimana. En 1991 plusieurs massacres de divers groupes Tutsis sont exécutés par des extrêmistes Hutu. Depuis ses bases arrières établies en Ouganda et avec l’appui en matériel et en hommes de l’armée Ougandaise, le FPR établira progessivement une tête de pont au nord du Rwanda où des combats se poursuivront jusqu’en 1994, créant d’importants déplacements vers la capitale de la population hutu qui fuit les massacres et les autres exactions commis par le FPR dans la zone toujours plus vaste qu’il occupe dans le nord du pays.
A la suite du discours de La Baule de François Mitterrand, Juvénal Habyarimana fait changer la Constitution en 1991 pour donner naissance au multipartisme. Sous la pression de la communauté internationale, les accords successifs d’Arusha, négociés en Tanzanie avec le FPR et signés en août 1993, prévoient l’organisation du retour des exilés Tutsi et l’intégration politique et militaire des différentes composantes internes et externes de la nation rwandaise. Parallèlement l’entourage de Juvénal Habyarimana et de son épouse Agathe, qui contrôle aussi l’armée et l’économie du pays, créent en 1992 la Coalition pour la défense de la République (CDR), les milices Interahamwe et la radio des Mille Collines (RTLM) qui seront les principaux organes du Génocide de 1994 et s’autoqualifieront de Hutu Power.
Les médias gouvernementaux rwandais joueront un rôle significatif de propagande anti-Tutsie avant et durant le génocide. Ainsi, la RTLM appelle au meurtre des Tutsis dès 1992. L’ambassadeur belge Johan Swinnen a rapporté à Bruxelles que la RTLM diffuse ces appels à l’extermination des Tutsis7. Un autre fameux exemple est le journal rwandais Kangura, qui le 10 décembre 1990 publie les « Dix commandements du Hutu », texte raciste qui appelle à la haine anti-Tutsi (dans le même numéro de ce journal, on trouve une photo du président Mitterrand avec la légende : « Les grands amis, on les rencontre dans les difficultés »).
Le soir du 6 avril 1994, les présidents rwandais et burundais et le chef d’État major rwandais meurent dans un attentat, après le tir de deux missiles sur leur avion. Le lendemain, le premier ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana et d’autres personnalités politiques modérées, dix militaires belges de la Mission des nations unies (Minuar) ainsi que deux sous-officiers français, coopérants militaires, et l’épouse de l’un d’entre eux sont aussitôt assassinés par la garde présidentielle et le Hutu Power par les uns et par les troupes du FPR par les autres.
La mort du président Habyarimana provoquera une longues séries de massacres, d’une ampleur jamais égalée jusque là, et une désorganisation totale de l’état rwandais. C’est dans ce cadre que sera exècuté ce qui sera appelé le génocide des tutsis tandis que seront également massacrés les hutus dits modérés qui prônaient la concertation avec le FPR mais aussi un nombre indéterminé de rwandais (hutu ou tutsi) qui, pour des raisons purement politiques, seront les victimes des commandos « network » du FPR.
Le journaliste Patrick de St Exupéry rapportera dans Le Figaro du 12 janvier 1998 un commentaire du président Mitterrand relatif au génocide : « dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important ». Le soutien largement documenté du gouvernement français au gouvernement rwandais, y compris durant le génocide, semble provenir de la perception d’un complot anglo-saxon visant à détruire la « francophonie », comme le démontre une lettre du général Quesnot à Mitterrand8.
À partir du 7 avril 1994, le projet génocidaire est exécuté par le Hutu Power, constitué aussitôt en gouvernement intérimaire (GIR). Le GIR est formé en partie dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali, comme le reconnaît Jean-Michel Marlaud, qui était ambassadeur français à l’époque, devant la mission d’information parlementaire sur le Rwanda9. Le GIR est dirigé par l’ex-premier ministre Jean Kambanda qui plaidera coupable devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda et sera condamné en 1998 à la prison à vie pour crime contre l’humanité ici qualifié de génocide.
Le cerveau présumé du génocide, selon le procureur du TPIR, serait le Colonel Théoneste Bagosora, en cours de jugement en 2005. Au moins 800 000 Tutsi et Hutu modérés ont été massacrés selon l’ONU, plus d’un million selon les autorités rwandaises et plus encore selon certains auteurs qui font remarquer que la déclaration d’état civil à la naissance n’était pas obligatoire au Rwanda.
Ce génocide fut l’un des quatre génocides du XXe siècle reconnus par les institutions internationales.
Une très vive polémique est entretenue par les courants soutenant l’ancien régime rwandais, dont les autorités françaises restent proches. Ils soulignent qu’une plainte a été déposée en 2005 devant la justice espagnole contre les chefs de l’Armée patriotique rwandaise (le bras armé du FPR) de Paul Kagame pour des crimes commis au Zaïre en 1996 contre les réfugiées hutu et les citoyens espagnols d’une association humanitaire. Ils font aussi valoir qu’une instruction judiciaire a été menée en France sur les causes de l’attentat du 6 avril 1994 par le juge Bruguière. Ils en concluent que ces procédures remettent en cause l’interprétation des faits relatés ci-dessus au profit de la thèse du double génocide, assimilant les attaques menées par le FPR, au début des années 1990 au Rwanda et en 1996 au Zaïre, à un génocide des Hutu mené par les Tutsi. Des personnalités et des militaires français, comme François Mitterrand, Dominique de Villepin, Pierre Péan, le Colonel Hogard ou Bernard Debré, le périodique AfriquEducation10, défendent ou ont défendu aussi l’idée d’un double génocide.
La qualification de génocide des Hutu a cependant été refusée par la communauté internationale car si des exactions ont effectivement pu être commises en représailles par des Tutsi contre des Hutu, le critère prépondérant de volonté de planifier l’extermination d’un groupe fait défaut. Des ONG internationales des Droits de l’Homme tels que la Fédération internationale des droits de l’homme, Human Rights Watch, Amnesty international ou françaises comme la LDH, le CCFD, la Cimade, Survie et SOS Racisme, estiment que si des crimes contre l’humanité sont à reprocher au FPR, ils ne peuvent être qualifiés de génocide et ne peuvent être opposés « en miroir » au crime de génocide du Hutu Power en 1994.
Colette Breackmann et Survie qualifient cette théorie du double génocide de révisionnisme11, voire de négationnisme, comme l’organisation « Survie », par exemple12. Mais Survie n’est pas la seule, loin de là: l’historien Yves Ternon, qui s’est penché dans ses recherches sur les génocides à travers le 20e siècle, estime également que la théorie du « double génocide » n’est rien d’autre qu’une façon de nier le génocide des tutsi: « Le négationnisme se structura autour de quelques affirmations qui permettaient de dissimuler l’intention criminelle – constitutive du crime de génocide – sans nier la réalité des massacres et de soutenir la thèse du « double génocide ».« 13. Les rapports du sénat belge ou de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda des députés français, de l’ONU, de l’OUA constatent, sans aucune ambiguïté possible, le génocide des Tutsi, ainsi que le massacre des démocrates Hutu modérés qui pouvaient le faire échouer; en revanche, ils n’évoquent pas un éventuel génocide des Hutu.
Le 4 juillet 1994, le FPR prend la capitale, Kigali.
Le 19 juillet un gouvernement est constitué sur la base des accords d’Arusha. Une période de transition politique est décrétée.
Pasteur Bizimungu devient président de la République. Mais l’homme fort du Rwanda est le général major Paul Kagame, vice-président et ministre de la défense, cofondateur du FPR, ancien exilé tutsi en Ouganda.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda est constitué par l’ONU fin 1994.
En 1996, pour venir à bout des génocidaires repliés au Zaïre, allié à l’Ouganda et aux rebelles de l’Est du Zaïre, le Rwanda envahit le Zaïre et aide le front rebelle dirigé par Laurent Désiré Kabila qui renverse en 1997 le président du Zaïre Mobutu Sese Seko.
Pasteur Bizimungu démissionne en 2000. Paul Kagame est élu président de la République par l’Assemblée nationale.
Le Rwanda doit faire face à un besoin de justice qui engorge les tribunaux et amène à la réhabilitation de la justice traditionnelle Gacaca.
En 2002, l’ancien président de la république, Pasteur Bizimungu, est arrêté et mis en prison. Le parti MDR est dissout par les députés.
26 mai 2003 : Adoption par référendum d’une nouvelle Constitution qui instaure le multipartisme
25 août 2003 : Victoire de Paul Kagame à l’élection présidentielle
7 juin 2004 : Condamnation à 15 ans de prison de l’ancien président Pasteur Bizimungu. Il sera gracié le 6 avril 2007.
24 novembre 2006 : Rupture des relations diplomatiques avec la France après l’émission de mandats d’arrêt contre des proches du président Paul Kagame
18 avril 2007 : Le Rwanda intente une action contre la France devant la Cour internationale de justice de La Haye.
25 juillet 2007 : Abolition de la peine de mort
14 octobre 2008 : Abandon de la langue française au profit de l’anglais dans l’enseignement et l’administration
29 novembre 2009 : Le Rwanda devient le 54ème membre du Commonwealth. Rétablissement des relations diplomatiques avec la France.
9 août 2010 : Réélection de Paul Kagamé.
26 juin 2012 : Un rapport d’experts de l’ONU accuse le Rwanda de soutenir la rébellion du M23 dans l’est de la RD Congo.
1 janvier 2014 : Assassinat à Johannesburg (Afrique du Sud) de Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements extérieurs du Rwanda