Durant près de 40 ans Léonidas Barora fut un chasseur réputé du Parc naturel des Volcans, au Rwanda. À 75 ans, il est désormais une figure d’un village touristique consacré à la protection de la vie sauvage de la région.
Son habilité au tir à l’arc reste intacte, mais il n’en fait montre désormais que sur une cible pour distraire les touristes qui s’aventurent dans la forêt tropicale des montagnes des Virunga, culminant à 4500 mètres d’altitude, à la rencontre des légendaires gorilles des montages au Rwanda.
Le massif des Virunga, aux confins du Rwanda, de la République démocratique du Congo et de l’Ouganda est le dernier sanctuaire au monde de ces grands singes dont ne subsistent qu’environ 800 individus.
À Iby’Iwacu («notre héritage», en kinyrwanda), reconstitution d’un village traditionnel rwandais construit à une centaine de km au nord-ouest de Kigali, Léonidas Barora et d’autres braconniers repentis se consacrent désormais à protéger la faune qu’ils traquaient autrefois. Leur gagne-pain passe aujourd’hui par sa survie, grâce aux touristes qu’elle attire.
Les primates rendus célèbres par Diane Fossey sont menacés: la croissance démographique et la pauvreté poussant les habitants à empiéter toujours plus sur le parc pour faire paître leurs troupeaux, couper des bambous ou chasser pour se nourrir.
«Après avoir tué des animaux, je troquais la viande au village contre des haricots ou des pommes de terre, je ne gagnais pas d’argent», raconte M. Barora, évoquant son passé de braconnier.
«Je chassais buffles, antilopes et éléphants (…) Je n’ai jamais tué volontairement de gorille, car les gorilles sont comme des êtres humains, mais il m’est arrivé d’en tuer par accident dans des pièges que j’avais posés», poursuit ce homme trapu au visage buriné.
Selon la direction du Parc, les grands singes ne sont pas les cibles principales des braconniers, mais tous les trois mois en moyenne l’un d’eux est blessé par un piège.
Fonds communautaire
Léonidas Barora a changé de vie en 2005 après avoir rencontré Edwin Sabuhoro, alors l’un des conservateurs du parc. Cette année-là, bouleversé après avoir sauvé un bébé gorille d’un braconnier, le jeune homme de 28 ans entreprend de convaincre les chasseurs qu’ils ont plus à gagner à protéger la faune du parc.
«Les braconniers me disaient: (…) »si tu vivais autour du parc, que tes enfants étaient affamés (…) et que tu savais que dans le parc tu pouvais trouver à manger, que ferais-tu? »», se souvient Edwin Sabuhoro.
Il démissionne et achète un terrain au pied des montagnes. «Edwin m’a dit: »Vas chercher les autres braconniers dans le parc et dis-leur que je vais leur donner du travail, mais en échange il faut arrêter » le braconnage», se souvient Léonidas Barora.
En six mois, 500 braconniers rejoignent Edwin et construisent sur son terrain le «Village culturel Iby’Iwacu»: une dizaine de petites huttes rondes, aux murs de terre séchée et au toit de chaume, entourant la réplique d’une maison royale.
Les touristes qui s’arrêtent en redescendant de la montagne peuvent y découvrir la culture rwandaise: chants, danses… Des femmes montrent l’art de la vannerie, tandis qu’un ancien braconnier donne des rudiments d’utilisation de plantes médicinales.
Les bénéfices générés paient les salaires des anciens braconniers et de leurs proches qui assurent les animations et alimente un fonds communautaire, utilisé pour payer la scolarité des enfants de familles démunies ou aider certains à créer de coopératives agricoles ou artisanales.
«Lorsque j’étais braconnier (…) je n’avais pas de maison, je vivais comme un animal», explique Léonidas Barora, «maintenant, j’ai un salaire, une maison, une femme et six enfants».
Certains anciens braconniers sont devenus porteurs, d’autres ont même rejoint la brigade anti-braconnage du parc.
Dans la foulée du projet d’Edwin Sabuhoro, le gouvernement rwandais a décidé de reverser chaque année 5 % des revenus générés par le parc national à des projets bénéficiant aux communautés locales, tels que la construction d’écoles ou d’hôpitaux.
«Désormais les populations riveraines comprennent l’importance de protéger le parc et les animaux», explique Félicien Ntezimana, guide, à des touristes qui ont déboursé 750 dollars pour avoir le privilège de passer une heure près de gorilles.
Après deux heures de marche sur des chemins escarpés, serpentant entre panorama de cimes ou à travers l’épaisse forêt, le groupe de touristes se retrouve nez à nez avec une famille de 20 gorilles, dont cinq «dos argenté» (mâles adultes) qui mâchent paisiblement des pousses de bambou.
Victime d’un piège alors qu’il était jeune, l’un des «dos argentés» a perdu une main.
«C’est une expérience fabuleuse, une véritable leçon d’humilité», s’exclame ravie Kristin Warren, une touriste australienne, «ce qui se passe ici est unique, c’est probablement un des meilleurs exemple d’éco-tourisme» soucieux tant des gorilles que des populations locales.