Associations : « La loi de 1901 a été pervertie »

Par Ottavi Marie, publié le 04/01/2001

Un entretien avec Pierre-Patrick Kaltenbach, spécialiste des associations à but non lucratif

Pierre-Patrick Kaltenbach, 64 ans, est président des Associations familiales protestantes. Auteur des Associations lucratives sans but, l’un des pamphlets les plus sévères contre la dérive associative, il publie à la fin de février, aux Presses de Paris, De la fracture morale à l’impasse politique, avec une préface de Jean-François Revel.

Quel bilan dressez-vous de la loi sur les associations du 1er juillet 1901 ?

Il y a cent ans, nous étions en retard de plusieurs siècles sur l’Angleterre de John Locke et la Glorious Revolution de 1688, et plus encore sur les Etats-Unis d’Amérique, si bien compris en 1835 par Tocqueville. En 1901, nos républicains ont consenti, comme à regret, une loi de liberté, de gratuité et de laïcité certes, mais aussi une loi anticléricale et liberticide en ce qu’elle interdisait la générosité privée des dons et des legs. Un siècle plus tard, la France compte 1 800 associations reconnues d’utilité publique contre 180 000 charities en Grande-Bretagne. Pis, depuis 1975, nous avons perverti cette loi politique. La liberté d’association du citoyen est devenue outil de gestion de l’Etat providence, quand elle ne sert pas des fins strictement marchandes. La loi « citoyenne » de 1901 a engendré une machine à souplesses budgétaires et fiscales, une usine à emplois factices, voire fictifs, un monde caractérisé par le refus de la transparence. C’est l’inversion et la dérive que la France officielle nous propose de commémorer en 2001.

Jugez-vous les contrôles assez efficaces en France ?

La réponse varie selon les domaines. Sur le plan national, si l’on s’en tient aux 100 associations faisant appel à la générosité publique, le problème est moins celui du contrôle par les pouvoirs publics que celui de la confiance retrouvée des donateurs. Tel est le sens de la procédure de certification amorcée par l’AFM (Téléthon), l’ARC et l’Armée du salut, soit plus de 1 milliard de francs de ressources à elles trois. Un cabinet indépendant, le Bureau Veritas Quality International, agissant lui-même sous le contrôle d’un comité d’experts bénévoles dont je suis le président à titre strictement privé, vérifiera régulièrement que l’argent collecté est dépensé conformément aux seules missions annoncées. Il s’assurera que la démocratie règne et que l’exercice du pouvoir au sommet garantit des décisions honnêtes et des choix transparents. Il contrôlera que le désintéressement des dirigeants est réel. Cette procédure de « bonne gouvernance » privée constitue une première en France et en Europe.

Et au niveau local ?

Là, c’est plus une affaire de transparence à l’initiative des contribuables électeurs. Il leur faut interpeller les élus sur le coût et l’efficacité des principales associations bénéficiaires d’aides publiques oeuvrant dans leur circonscription politique. Trop de gens ignorent que la loi, et notamment celle du 30 mars 2000, permet l’irruption des citoyens dans le domaine opaque de « l’idéologie subventionnaire« . Les quelque 6 millions de bénévoles donateurs de France trouveront ici un vaste champ pour développer leur civisme en faisant de la politique autrement.

Comment profiter du centenaire de la loi pour la toiletter ?

Pour faire de 2001 l’an I de la liberté associative réformée, il nous faut obtenir des candidats aux prochaines élections nationales qu’ils s’engagent à mettre hors la loi de 1901 les pouvoirs qui n’ont rien à y faire, qu’il s’agisse de l’Etat, du marché ou du salariat. C’est une condition préalable du retour à la démocratie financière qui concerne l’ensemble de la dépense publique. Il y a un siècle, nos prédécesseurs ont su laïciser la république, il nous faut laïciser la politique… en commençant par le vaste monde des 26 000 grosses associations « lucratives sans but« . Comme il a fallu jadis séparer l’Eglise de l’Etat, il faudra demain séparer l’association du pouvoir et de l’argent.

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