Près de la piste, un iguane gambade. Pour construire le premier aéroport 100% écologique du monde, sur les vestiges d’une base militaire américaine, il a fallu tenir compte de son environnement, l’un des écosystèmes les plus fragiles de la planète: les îles Galapagos.
Il y a un peu plus de 70 ans, le paysage était tout autre.
L’arrivée des soldats américains, positionnés là pour contrer l’éventuelle avancée japonaise, sur le flanc Pacifique pendant la Deuxième Guerre mondiale, avait faire fuir les iguanes de Baltra, effrayés par le remue-ménage et la venue de chiens et de chats avec les militaires.
Baltra est l’une des treize îles de cet archipel situé à un millier de kilomètres au large de l’Équateur, dont les tortues géantes ont inspiré la théorie de l’évolution des espèces au naturaliste britannique Charles Darwin.
À la fin de la guerre, les reptiles aux allures préhistoriques sont restés absents de cette île pendant des années. Il a même fallu que des biologistes réintroduisent l’espèce sur place.
Désormais, quand l’un d’eux flâne sur la piste au moment où un avion de touristes est sur le point d’atterrir, les employés, spécialement formés pour cela, les attrapent par la queue pour les emmener dans un lieu sûr.
Car la zone a subi une métamorphose spectaculaire: Baltra n’est plus un dépôt de matériel de guerre, où l’on trouvait encore, il y a peu, des bombes inutilisables. Là où était installée la base militaire, se trouve désormais ce qui est considéré comme l’unique aéroport vert de la planète.
Chantier de 40 millions de dollars
«Nous sommes passés d’un endroit où il y avait l’armée et des avions (de guerre) à un aéroport 100% écologique», se réjouit Ezequiel Barrenechea, président de Corporacion América, entreprise argentine qui a obtenu la concession de cet aéroport baptisé Seymour en hommage à un lord britannique du XVIIIe siècle.
Les infrastructures existaient déjà, avant leur reconversion en œuvre écologique. Jusqu’en 2011, l’aéroport, l’un des trois qui dessert les Galapagos, était un bâtiment classique, géant de métal perdu en pleine nature.
Cette année-là a commencé sa transformation.
Pendant 15 mois, des centaines d’ouvriers ont démonté l’aéroport, comme s’il s’agissait d’un casse-tête, réutilisant le bois et tous les matériaux pouvant être recyclés pour faire naître un nouvel aéroport, avec un impératif: qu’il soit entièrement durable.
Un chantier de 40 millions de dollars, distingué à plusieurs reprises pour sa relation harmonieuse avec son environnement exceptionnel, dans une réserve qui abrite des espèces uniques et paraissant d’une autre époque, comme des tortues gigantesques et des iguanes de toutes les couleurs.
«Construire aux Galapagos, c’est déjà en soi très difficile, car tout doit être apporté du continent par bateau, mais construire de manière durable, c’est encore plus compliqué, partout dans le monde. Si vous additionnez les deux difficultés, alors vous obtenez une réussite importante, en termes d’ingénierie», explique Ezequiel Barrenechea.
Et l’effort a payé: entré en service en mars 2013, l’édifice a obtenu en 2014 la plus haute certification existante pour les constructions durables, le Leed Gold, décerné par l’USGBC (Conseil de la construction durable des États-Unis).
C’est jusqu’à présent l’unique aéroport dans le monde à avoir reçu dans sa totalité une telle distinction. Auparavant, seule l’extension d’un terminal de San Francisco, aux États-Unis, avait été couronnée de ce label, garant d’un respect maximum de la nature.
Du soleil et du vent
Pour faire fonctionner cet aéroport, par lequel transitent chaque année 400 000 passagers, en majorité des touristes, il ne faut, en plus de l’énergie de ses employés, que du soleil et du vent.
«Ici, tout fonctionne avec de l’énergie renouvelable», souligne, à l’occasion de la première visite organisée pour la presse, Jorge Rosillo, directeur général de l’aéroport, désignant les panneaux solaires et les trois éoliennes géantes qui alimentent les infrastructures.
À part dans la salle des machines, il n’y a pas d’air conditionné. Pas de vitres non plus aux fenêtres, dans cette île baignée de chaleur toute l’année, car située sur la ligne de l’Équateur.
Et comme un clin d’oeil ironique au recyclage à l’œuvre dans ce bâtiment, l’aéroport repose sur de gros cylindres qui étaient autrefois des tuyaux servant à transporter du pétrole, l’un des plus gros polluants de la planète, fait remarquer Jorge Rosillo.
Mais à première vue, rien ne distingue l’aéroport de Baltra des autres aéroports dans le monde: c’est une construction grise, posée au milieu d’un terrain quasi-désertique et inhabité, constamment balayé par le vent.
L’édifice de 6000 mètres carrés, avec une grande hauteur de plafond et des finitions en pierre volcanique, caractéristique de la zone, paraît presque banal.
«Un usager ne voit pas la différence car il fonctionne exactement comme n’importe quel autre aéroport», explique Ezequiel Barrenechea, assurant qu’il est tout à fait possible de construire des aéroports aussi écologiques que celui de Baltra en milieu urbain.