C’est rapide, pas cher et sans chichis. Les restaurants de rue de Hong Kong servent depuis des décennies à leurs clients affamés des classiques populaires comme le ragoût de bœuf ou les toasts au lait concentré.
Mais ces kiosques appelés dai pai dong en cantonais, la langue parlée dans l’ancienne colonie britannique, ne sont plus très nombreux dans la mégapole de sept millions d’habitants, où ils avaient pourtant fleuri après la Seconde Guerre mondiale.
Dans ce havre du capitalisme financier célèbre pour ses immenses gratte-ciel climatisés, les dai pai dong sont l’occasion rare de manger en terrasse et rappellent aux nostalgiques un passé révolu.
Ces minuscules restaurants sont en fait des stands installés en pleine rue ou sur le trottoir. Les cuisiniers y officient aux yeux de tous. Jour et nuit, les clients mangent assis à des tables pliantes sur des tabourets en plastique.
«Je me sens bien dans les dai pai dong. Il n’y a pas de restrictions. Je peux parler de mon enfance en fumant», raconte Lau Yat-keung, 61 ans, assis sous un parasol recouvert d’une bâche dans le quartier populaire de Sham Shui Po.
«Je ne vois aucune raison d’aller dans les chaînes de restauration rapide. Les jeunes vous considèrent là-dedans comme démodé», dit-il.
Les kisoques qui résistent au temps proposent aux chalands les valeurs sûres de la cuisine cantonaise: soupes fumantes de nouilles, thé au lait bien corsé, pain perdu au beurre de cacahuète.
Des plats simples qui n’ont pas grand impact sur le portefeuille: une assiette de tripes ou d’oie rôtie coûte l’équivalent de 6$, un plat de nouilles à la viande et à l’œuf 3,40$…
Érosion naturelle
Cependant, l’heure de gloire des dai pai dong est révolue.
Après la guerre, le nombre de restaurants de rue avait augmenté à mesure que s’installaient à Hong Kong des Chinois du continent. Mais le colonisateur britannique s’était rapidement inquiété des conditions d’hygiène et des nuisances sur la voie publique qu’ils pouvaient occasionner.
Les autorités britanniques ont cessé d’accorder de nouveaux permis dans les années 1970 après avoir déjà assorti de conditions nombreuses le transfert des permis existants. Les propriétaires de licence qui acceptaient de s’en séparer volontairement étaient rémunérés.
Résultat: seuls 24 dai pai dong sont encore en activité. Un déclin qui s’explique par «l’érosion naturelle», disent les autorités. Chong Yuk-sik, auteure d’un ouvrage sur l’histoire de ces kiosques, accuse au contraire le gouvernement de les laisser mourir.
Pressées d’agir pour préserver ces restaurants, les autorités ont mis les bouchées doubles dans le quartier d’affaires de Central: les réseaux d’alimentation en eau, en électricité et en gaz de ville ont été améliorés, les rues ont été goudronnées de frais, des fosses de déversement des eaux usées ont été creusées…
Malgré tout, l’avenir des dai pai dong semble incertain.
«Le futur n’invite pas à l’optimisme», dit Tsang Yau-lin, à Sham Shui Po, dont les photos de famille en noir et blanc témoignent de l’évolution d’une affaire familiale lancée par son père dans les années 1950.
«Dans les deux ou trois prochaines années, les immeubles du quartier vont être détruits et les dai pai dong vont se mettre en travers des projets de certains groupes immobiliers. Je pense qu’ils seront délocalisés», dit-elle.
L’ancienne colonie britannique compte des milliers de restaurants, des plus simples aux plus sophistiqués: 64 établissements sont étoilés au Michelin et les chefs parmi les plus grands du monde y exercent leur art.
Mais pour de nombreux Hongkongais, les stands de rue, leurs seaux de couteaux de mer vivants prêts à passer à la casserole et leurs néons fluorescents font partie d’un héritage qu’il faut préserver.
«Je crois que nous devrions chérir notre culture locale, faute de quoi, nous serons comme toutes les autres villes», dit l’auteure Chong Yuk-sik. «Comment faire pour que Hong Kong reste unique? Je crois que les dai pai dong sont l’une des réponses».