Avant l’arrivée des Européens, l’île de Saint-Martin était habitée par les Arawaks; ils appelaient leur île Sualouiga («Terre de sel» ou Oualichi («Terre de femmes». C’est Christophe Colomb qui, lors de son second voyage, la baptisa Saint-Martin, le 11 novembre 1493, parce que c’était le jour de la fête de saint Martin (évêque de Tour). Il évita d’accoster sur l’île de peur des Indiens qu’il supposa féroces. Par la suite, l’île de Saint-Martin ne fut guère exploitée par les Espagnols, mais elle commença néanmoins à figurer comme possession espagnole sur les cartes du Nouveau-Monde. Beaucoup d’Européens évitèrent l’île jusqu’à ce que le trafic maritime s’intensifia au nord des Petites Antilles, ce qui invita les explorateurs à s’intéresser à cette terre verdoyante et à ses lagons salés. Tout au long du XVIe siècle, Saint-Martin fut visitée par les Espagnols, les Hollandais, les Portugais, les Anglais et les Français à la recherche de mouillages ou de ports protégés. Ce fut la grande époque des corsaires et des flibustiers, qui réduisirent les Caraïbes autochtones en esclavage et les arrachèrent à leur île pour les faire travailler dans les îles voisines. Les mauvais traitements et les maladies les décimèrent jusqu’au dernier.
En 1648, l’île de Saint-Martin n’était occupée que par quatre Français et cinq Hollandais. Le 23 mars de la même année, les Français et les Hollandais réglèrent le problème de leur «souveraineté nationale» par la signature du Traité du mont des Accords (ou Mons Concordia). Ils se partagèrent l’île en deux parties: les Français occupèrent la partie nord (52 km²), les Hollandais, la partie sud (34km²). Dans l’accord de 1648, il était convenu d’assurer la libre circulation des habitants sur toute l’île. Toutes les dispositions de 1648 sont demeurées en vigueur jusqu’à aujourd’hui.
Lorsqu’en 1656 des colons hollandais furent chassés du Brésil par les Portugais, ils se réfugièrent avec leurs esclaves en Martinique, mais surtout en Guadeloupe et à Saint-Martin. Parce que les Hollandais étaient réputés être les détendeurs de la technique de fabrication du sucre, le gouverneur français, Charles Houël, avait considéré que l’arrivée de ces nouveaux immigrants allait favoriser l’essor économique. Dans les siècles qui suivirent, l’île de Saint-Martin se peupla de colons et de corsaires anglais, et de quelques esclaves noirs, tout en demeurant sous la double administration franco-hollandaise.
Cependant, les Français et les Hollandais durent se défendre pour contrer les incessantes attaques anglaises. L’île de Saint-Martin / Sint Maarten fut successivement occupée, abandonnée, évacuée, pillée, attaquée, prise et restituée au traité de Versailles, occupée encore, puis libérée sous la Révolution par Victor Hugues.
Lors du traité d’Utrecht de 1713, la France perdit l’île de Saint-Christophe (aujourd’hui, l’État de Saint-Kitt-et-Nevis) au profit de l’Angleterre. Or, la partie française de Saint-Martin (ainsi que l’île de Saint-Barthélemy) était reliée administrativement à Saint-Christophe (dont elle dépendait). La perte de Saint-Christophe, qui coupait tout lien naturel avec la France, fit que la partie française de Saint-Martin dut ne compter que sur elle-même pendant un certain temps (1713-1763).
Ce n’est qu’en 1763 qu’elle fut rattachée administrativement à la Guadeloupe (distante de 250 km). Entre 1775 et 1784, la population blanche passa de 300 habitants à 500, mais la masse servile, essentiellement noire, déversée par le commerce ou amenée des îles voisines (surtout des Anguillais anglophones) s’éleva brutalement de 1000 à 2500.
En 1816, la signature du traité de Vienne mit fin aux luttes coloniales et assura définitivement la prédominance franco-hollandaise. En réalité, entre le milieu du XVIIe siècle et le début du XIXe siècle, l’île de Saint-Martin / Sint Maarten subit l’influence de la France, des Antilles néerlandaises, des Antilles anglaises, des îles Vierges américaines, de Porto Rico (espagnol), des États-Unis et de la Suède. On peut imaginer le degré de multilinguisme et de multiculturalisme chez la population insulaire.
Autour de 1843, l’amiral Alphonse-Louis-Théodore de Moges (1789-1850), alors qu’il était commandant en chef de la station des Antilles et du golfe du Mexique et gouverneur de la Martinique, écrivit au ministre de la Marine française: «Malgré la double occupation (française et hollandaise), c’est la langue anglaise qui est la seule familière à l’ensemble de la population. Cette circonstance s’explique par le peu d’intérêt que la Hollande accorde à cette possession et par l’abandon où nous-mêmes l’avons laissée pendant de longues années.» Remarquons que la situation linguistique n’a guère changé depuis cette époque, bien que l’île soit envahie annuellement par un demi-million de touristes, dont surtout des Américains, puis des Français, des Canadiens, des Néerlandais, etc.
La France abolit l’esclavage lors du décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848, qui avait été préparé par le sous-secrétaire d’État français à la Marine chargé des colonies, Victor Schoelcher (1804-1893). Presque aussitôt, le gouverneur de la Guadeloupe (dont Saint-Martin faisait alors partie), Laryle, décida, le 27 mai 1848, d’appliquer le décret d’abolition dans l’archipel; l’esclavage fut aboli la même année à l’île de Saint-Martin pour la partie française, mais seulement en 1863 pour la partie hollandaise. Les «esclaves hollandais» n’avaient qu’à franchir la frontière séparant les deux zones pour devenir libres. Mais l’abolition de l’esclavage fit décliner les échanges commerciaux, car la production sucrière de l’île cessa en 1875 et celle du coton en 1923.
Durant cette époque, l’Administration française ne se préoccupa guère de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. C’est alors qu’une habitude d’auto-administration se développa et se traduisit par un mélange de règles coutumières locales, de vides juridiques et de pratiques importées de l’étranger. Le déclin économique força de nombreux Saint-Martinois français et néerlandais à l’exil; beaucoup émigrèrent vers les îles d’Aruba et de Curaçao, attirés par les raffineries de pétrole que la Dutch-British Shell Oil Company avait installées dans les années 1919-1920. Les historiens signalent une baisse de 18 % de la population de l’île de Saint-Martin / Sint Maarten entre 1920 et 1929; les Saint-Martinois «français» bénéficièrent des mêmes conditions d’immigration que les citoyens «néerlandais». En 1939, la France et les Pays-Bas abolirent les droits de douane et des contributions indirectes entre les deux zones (néerlandaise et française), ce qui permit de développer sans entraves les relations commerciales et économiques entre les deux parties de l’île.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, les Américains devinrent le fournisseur unique de toute l’île, car l’Administration française de l’île avait reconnu officiellement le gouvernement français de Vichy et, de ce fait, avait subi le blocus des forces alliées. Dès 1943, Washington fit de Juliana (partie hollandaise) une base aérienne importante et un élément-clé de son dispositif de lutte contre les sous-marins allemands. La guerre contribua ainsi à américaniser et angliciser grandement la population de Saint-Martin / Sint Maarten. Par la suite, l’anglais devint la grande langue véhiculaire sur l’ensemble de l’île et concurrença le français au nord, le néerlandais au sud.
En 1946, la France décida d’inclure Saint-Martin et Saint-Barthélemy sous la dépendance de la Guadeloupe. La nouvelle administration départementale se montra aussi peu présente que celle de l’ancienne colonie. L’île forma un arrondissement («commune de Saint-Martin») de la Guadeloupe. En 1963, la sous-préfecture des îles du Nord fut mise en place pour la gestion administrative des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin:
En même temps que la création de la sous-préfecture des îles du Nord, la ville de Marigot fut choisie comme capitale de la partie française de Saint-Martin.
Le décret français du 29 octobre 2003 permit de consulter les électeurs de l’île de Saint-Martin (Guadeloupe) en application de l’article 72-4 de la Constitution. Les habitants de l’île de Saint-Martin (Guadeloupe) furent consultés le 7 décembre 2003. Ils avaient à répondre par «oui» ou par «non» à la question suivante : «Approuvez-vous le projet de création à Saint-Martin d’une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, se substituant à la commune, au département et à la région, et dont le statut sera défini par une loi organique qui déterminera notamment les compétences de la collectivité et les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables?» La même question était posée aux habitants de Saint-Barthélemy; les habitants de la Guadeloupe et de la Martinique furent aussi consultés.
Les habitants de Saint-Barthélemy ont plébiscité une séparation avec l’archipel pour devenir une collectivité d’outre-mer. Ils ont voté à 95,5 % en faveur de la transformation de leur île en «Collectivité d’outre-mer». Le «oui» l’a aussi massivement emporté dans la partie française de l’île franco-néerlandaise de Saint-Martin, avec 76 % des votes. Ce nouveau statut leur permet, en principe, de préserver les avantages fiscaux de fait, hérités de l’histoire. Le «non» l’a emporté largement en Guadeloupe, mais de justesse en Martinique. C’est pourquoi seules les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy allaient changer de statut.
En vertu de l’article 74 de la Constitution française, Saint-Martin devient une «collectivité d’outre-mer de la République», mais seulement après l’adoption de la loi organique (non encore déposée au Sénat). Cette collectivité territoriale nouvelle se substituerait à la commune de Saint-Martin ainsi que, pour le territoire concerné, au département et à la région de la Guadeloupe. À Saint-Martin, les lois et règlements s’appliqueraient de plein droit dans les matières qui demeureront de la compétence de l’État, sous réserve des mesures d’adaptation nécessitées par l’organisation particulière de la collectivité. Saint-Martin demeurera soumise au statut de région ultra-périphérique de l’Union européenne.
Quant à la nouvelle collectivité d’outre-mer, elle exerce, à partir du 15 juillet 2007, les compétences actuellement dévolues aux communes, aux départements et aux régions, ainsi que les compétences qui pourront être transférées ultérieurement à ces collectivités dans le cadre des futures lois de décentralisation. Elle peut dorénavant adapter les lois et règlements en matière d’urbanisme, de logement, de domanialité publique et d’enseignement.
Saint-Martin est aujourd’hui administrée par une Assemblée délibérante élue pour cinq ans dont l’élection se fait dans une circonscription unique. L’organisme exécutif collégial de la collectivité est élu par l’Assemblée parmi ses membres et responsable devant elle. Deux conseils consultatifs, le conseil économique et social et le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, bénéficient de compétences d’initiative et de proposition.
Étant donné la situation particulière de Saint-Martin — le partage de l’île avec les Pays-Bas —, il paraissait nécessaire de changer le statut de l’île. Les infrastructures économiques les plus importantes (p. ex., l’aéroport international et le port principal) se trouvent en territoire hollandais qui bénéficie d’un statut d’autonomie très poussée, alors que l’administration française était pour sa part restée très centralisée.