La nuit est tombée sur Bogota mais une petite place bouillonne d’activité. Elle abrite un marché consacré aux herbes unique en Colombie. Un lieu chargé d’histoire où l’on s’échange tous les secrets pour soigner toutes sortes de maux.
L’obscurité est nécessaire pour la fraîcheur de ces plantes thérapeutiques ou aromatiques. Des brassées de feuilles de calendula, de coriandre, de romarin, de mélisse ou de camomille trônent sur les étals de ce marché qui fournit aussi les supermarchés de la capitale. Mais ici, il y a un plus.
«Protection contre le mauvais œil pour la chance, porte-bonheur pour l’argent, passion pour l’amour et fleurs d’ail contre les mauvaises énergies», énumère à l’AFP Ana Pechené, qui vend depuis 22 ans sur ce marché les herbes et autres racines que sa famille lui envoie depuis la province de Valle del Cauca, dans le sud-ouest du pays.
Et si un client recherche de la caracole, une plante bienfaisante pour les reins, Bernardo Gutierrez la vend mais en plus il explique comment l’utiliser: un verre complet toutes les deux heures, combiné avec de l’huile d’olive et du citron.
Situé dans le quartier Martires, dans le centre de Bogota, ce marché se tient les lundis et les jeudis, réunissant environ 400 marchands d’herbes ambulants, qui commencent à disposer leurs plantes – près de 200 espèces différentes – à partir de 22H00. Les ventes commencent à 03H00 du matin et durent près de quatre heures.
Pour la plupart des vendeurs, c’est une histoire de famille, à l’image de Diana Arocha, qui se déplace depuis 30 ans, depuis la localité d’Ubate, dans la province de Cundinamarca, dont Bogota est la capitale.
Plus ancien que l’époque coloniale
«Avant, le marché aux herbes était à ciel ouvert, nous vendions près du chemin de fer. C’est mon père qui m’a fait découvrir ça. A 85 ans, il ne vient plus ici mais il connaît tout sur les plantes», raconte-t-elle.
Originaire de l’ethnie muisca, Arcadio Quimbai, l’un des rares à proposer des produits déjà préparés à base de plantes amazoniennes macérées, raconte avoir lui aussi tout «appris de son grand-père et des Indiens».
Les ventes ont lieu la nuit car «les herbes sont des plantes qui s’abîment rapidement», tandis que le froid et l’obscurité permettent de les manipuler sans dommage, explique à l’AFP l’anthropologue Ana María Medina, auteur d’une étude sur le marché d’herbes ambulant.
Selon cette chercheuse de l’Université Javeriana de Bogota, archives historiques à l’appui, cette tradition remonte à la fondation de la capitale colombienne en 1538, avant même la période coloniale.
«C’est là qu’il y a eu les premiers campements, c’est une zone pré-hispanique par excellence pour l’échange de ces plantes aux vertus curatives, médicinales ou ésotériques», souligne-t-elle.
À l’époque coloniale, l’endroit est devenu un lieu de rencontre entre «les femmes blanches espagnoles qui avaient une connaissance spécifique des plantes aromatiques» et les «femmes indigènes qui apportaient d’autres herbes», ajoute Mme Medina.
L’anthropologue souligne que le caractère nomade du marché est justement le facteur qui a assuré sa longévité: «Sa propre précarité lui a permis de survivre. Une personne qui produit dans les champs ou cueille des herbes dans la forêt ne peut pas venir tous les jours pour les vendre».