Le «charity business» se réinvente sur le Web
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Erick Haehnsen | 10/05/2013,
Avec la crise, les imaginations se débrident pour rendre plus efficaces les missions du secteur de l’économie sociale et solidaire. Notamment grâce au numérique. Pourtant, les organisations caritatives ne tirent pas encore le maximum des possibilités du Net.
Les chiffres de l’économie sociale et solidaire (ESS) donnent le vertige. Selon le Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale (CNCRES), ce secteur a versé en 2012 près de 56 milliards d’euros de rémunérations brutes en France, réalisé un chiffre d’affaires de 21,6 milliards pour les mutuelles d’assurance, 20,7 milliards pour les mutuelles de santé et 288 milliards pour les coopératives. Sans compter un budget global associatif qui pèse 70 milliards. Depuis le XIXe siècle, l’ESS ne cesse d’innover. Notamment dans les modes d’organisation. Avec par exemple, entre autres, le tourisme social ou l’aide à domicile. Plus récemment, l’ESS s’est attachée à structurer des pans entiers de l’économie comme l’écoconstruction, les filières de recyclage ou encore les associations de maintien de l’agriculture paysanne (Amap).
Grâce à des technologies environnementales innovantes, aux réseaux sociaux, au logiciel libre ou encore au crowdfunding (« financement participatif »), une nouvelle génération d’acteurs de l’ESS émerge. À commencer par le financement participatif au service des associations caritatives. Sur ce terrain, les Anglo-Saxons ont pris une longueur d’avance avec des plates-formes comme 33needs pour les entreprises sociales, Advert Activists, Buzz-bnk, CauseVox, Give.fm ou Indie-GoGo, qui offrent aux associations et porteurs de projets caritatifs une palette de services pour organiser des campagnes de levée de fonds et gérer leurs relations communautaires.
La France rattrape son retard avec les plates-formes Alvarum et BabelDoor. « Les associations caritatives ne tirent pas suffisamment profit des possibilités du Web », estime Guillaume Desnoës qui, avec Olivier Fleckinger, a créé Alvarum en 2008, son diplôme de HEC tout juste en poche. Objectif : industrialiser la collecte de dons et l’organisation d’événements. De quoi convaincre Pierre Kosciusko-Morizet et Pierre Krings, deux des quatre fondateurs de PriceMinister, d’investir dans ce projet qui, en tout, a levé 1,7 million d’euros.
Des millions d’euros…
« Chacun peut créer son »Wall » comme sur Facebook, inviter ses amis, animer son projet en ajoutant des actualités, en organisant un événement afin de collecter des dons, reprend Guillaume Desnoës. Les particuliers informent leur communauté qu’ils souhaitent organiser une collecte en faveur de l’association de leur choix : MSF, la Ligue contre le cancer, l’Unicef ou la Croix rouge… » Pas moins de 800 associations européennes organisent ainsi des animations événementielles sur la plate-forme afin de stimuler la collecte. Citons, notamment, Oxfam (ONG pour les droits fondamentaux) et son Trail Walker, qui consiste à marcher 100 km par équipe de quatre personnes.
Moyennant une commission allant jusqu’à 5%, la start-up a levé au total près de 10 millions d’euros auprès de 200000 donateurs en Europe. Lesquels reçoivent automatiquement leur bordereau de déduction fiscale.
De quoi soulager l’administration des petites structures comme Imagine for Margo (lutte contre le cancer) : elle a levé 200000 euros en un an sans avoir à gérer à la main les courriers auprès de ses 4000donateurs. « On peut bâtir une belle entreprise à la fois rentable et capable d’industrialiser des services efficaces qui renforcent le lien social entre les citoyens et le tissu associatif. » Un précepte que la start-up étend en Europe avec des bureaux à Paris et à Berlin.
…avec des micros dons
Si les participants à Alvarum lèvent en moyenne de 500 à 1000 euros pour participer à un événement, d’autres acteurs misent sur le micro-don. Notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni où cette activité a généré en 2010 près de 4 milliards de dollars. En pratique, un opérateur industrialise les prélèvements de minuscules sommes sur de très nombreuses transactions pour les verser à des associations reconnues d’utilité publique. À l’instar du français microDON, start-up créée en 2009 qui vient de lever 300000 euros auprès de fonds solidaires (Equisol, Innov’ESS, Solid…). «Notre activité, c’est la »générosité embarquée ». Cela consiste à greffer une opportunité de don à partir des transactions de la vie courante : tickets de caisse, factures, bulletin de paie », précise Pierre-Emmanuel Grange, le président fondateur qui s’est structuré en entreprise solidaire.
Inspirée du Pay Roll Giving, qui existe depuis trente ans au Royaume-Uni, la «générosité sur salaire» est mise en oeuvre par microDON au travers des solutions de gestion externalisée de la paie de chez ADP, Cegid et Sage.« Sur une plate-forme informatique aux couleurs de l’entreprise, les salariés choisissent parmi 3 à 4pro-jets associatifs et déterminent le montant qu’ils consentent à verser, de quelques centimes d’euros à quelques euros », décrit Pierre-Emmanuel Grange qui, parmi ses références, compte la Française des jeux, ou Accenture. Vient ensuite la « générosité en caisse » qui s’appuie sur la carte microDON, à savoir des flyers dotés d’un code-barres placés à côté de la caisse-enregistreuse pour faire un don de 2 euros ou plus. « Nous intégrons un traitement comptable spécial pour gérer ce produit particulier », enchaîne le président-fondateur qui a monté des opérations au sein de 200 magasins Franprix en faveur du Téléthon avec 400 bénévoles d’une école de commerce.
« D’ici à la fin de l’année, nous allons lancer »l’arrondi à l’euro supérieur », par exemple de 21,56 euros à 22 euros, auprès de plusieurs centaines de magasins de différentes enseignes de la grande distribution », annonce Pierre-Emmanuel Grange qui a été consacré innovateur social de l’année 2012 par la MIT Techno-logy Review! « Nous ne prélevons aucune commission sur les sommes collectées. Nous nous rémunérons sur le service d’accompagnement aux changements des entreprises qui veulent étendre leur démarche responsabilité sociale avec nous. »
Agir pour l’Afrique comme pour le… « 9-3 »
Certains engagements de l’ESS poussent la générosité vers les pays en développement. En témoigne Alex&Alex qui récolte des micro-dons en livrant des fruits dans les entreprises parisiennes comme les géants Axa, Google ou encore Leroy Merlin mais aussi dans des PME. La start-up reverse 10 centimes d’euro sur chacun des fruits qu’elle vend et livre dans les bureaux afin de financer des projets de construction d’écoles et de formation Afrique. « Chaque panier contient une quarantaine de fruits », indique Alexandre Pon-thier, le dirigeant d’Alex&Alex qui a ouvert un centre de tri dans le 9e arrondissement de Paris. Les fruits y sont reçus puis livrés par un prestataire en véhicule électrique. L’action humanitaire de la start-up s’appuie sur des organisations estudiantines déjà présentes en Afrique. Comme ESC Sans Frontières (Rouen Business School) qui opère au Sénégal. Ou Schola Africa (Edhec Business School) au Burkina Faso. Une fois par semestre, les clients reçoivent un rapport d’activité sur les projets en cours leur indiquant à quelle hauteur ils y ont contribué. « Bientôt, ils pourront choisir eux-mêmes les projets qu’ils veulent financer », prévoit le dirigeant qui espère tripler le chiffre d’affaires de son second exercice (100000 euros en 2012-2013). De quoi soutenir son développement en ouvrant une antenne à Montréal (Canada).
Pour sa part, l’association Novae-dia, dirigée par Mohamed Gnabaly, qui a travaillé dans la banque d’investissement, reprend l’idée de distribuer des fruits (bios, dans ce cas) dans les bureaux afin de financer des cours du soir aux collégiens et lycéens. Non pas en Afrique mais dans sa ville de l’Île-Saint-Denis, l’une des communes les plus pauvres du «9-3 ». Voulant aider des personnes encore plus pauvres, les SDF, la start-up Coffreo développe le métier d’opérateur de « domiciles numériques fixes » (DNF). « Il s’agit d’espace personnels et confidentiels sur Internet dans lesquels les personnes peuvent conserver et trier leurs documents dématérialisés : bulletins de paie, contrats de travail, factures, relevés, quittances… », précise Emmanuel Cudry, fondateur et directeur de Coffreo. À la différence des espaces de stockage numérique comme Box ou DropBox, Coreo protège les documents avec un sceau numérique qui agit comme une signature électronique de sorte à garantir l’intégrité des documents stockés. « Nous travaillons déjà avec les groupes d’Intérim Adecco et Randstad dans le secteur du coffre-fort électronique pour que les salariés stockent leurs contrats de travail et leurs bulletins de paie électroniques », souligne Emmanuel Cudry qui expérimente depuis un an le DNF auprès d’une centaine de SDF en collaboration avec les travailleurs sociaux de l’association Reconnect (groupe SOS). « Les SDF les plus jeunes ont l’habitude de se connecter dans les lieux d’accueil ou d’hébergement. Les travailleurs sociaux les aident à ouvrir un compte, scanner et signer numériquement leurs documents. Cette maison numérique peut ensuite les accompagner partout. » À défaut de réelle insertion, cet outil limite l’exclusion.