Au large de Chypre, sommeille un mastodonte de fer et d’acier englouti par une nuit d’été il y a 35 ans: le ferry Zenobia est devenu l’une des épaves les plus visitées par les plongeurs.
Chaque année, ils sont des milliers d’amateurs à s’équiper d’une combinaison et de bouteilles pour partir à la découverte du «Titanic de la Méditerranée», qui repose sur son flanc gauche à 40 mètres de profondeur.
Sa taille – 172 mètres – et sa splendeur ont fait du Zenobia, nom de la reine de l’antique Palmyre, l’un des dix sites de plongée sur épaves les plus importants au monde et le premier en Europe. Les autres épaves stars reposent près des côtes australiennes, en Asie ou en mer Rouge.
«Le ferry est tellement grand que vous pouvez nager des jours sans vous ennuyer», s’enthousiasme Mat Howell, membre d’une agence spécialisée dans le tourisme sous-marin en Grande-Bretagne et l’un des participants de la «Zenobia Week», organisée fin juin pour promouvoir le site.
«Lorsqu’on plonge à l’intérieur du navire, on peut encore voir la moquette qui habillait le pont supérieur et même les tables du restaurant», témoigne Hatte Clasen, instructeur de plongée ravi de la popularité croissante du Zenobia.
Contrairement à d’autres épaves en Méditerranée, le ferry tire profit de son accessibilité, n’étant qu’à une dizaine de minutes en bateau de la station balnéaire de Larnaca, troisième ville chypriote.
«Le revers de cette proximité, c’est que des plongeurs inexpérimentés se précipitent sur ce site, ce qui provoque des accidents mortels», poursuit Hatte Clasen.
Comme son grand frère le Titanic, qui sombra en 1912 dans l’Atlantique, le roulier suédois a chaviré lors de son voyage inaugural, alors qu’il avait mis cap sur le port syrien de Tartous.
Le 2 juin 1980, minuit passé, le commandant de bord envoie un premier SOS au large des côtes chypriotes. Des remorques sont dépêchées pour redresser le navire, en vain.
Cinq jours plus tard, le Zenobia sombre, emportant avec lui une centaine de semi-remorques remplis de cigarettes, de câbles mais aussi… d’un million d’œufs.
Pourquoi a-t-il chaviré alors que les éléments n’étaient pas hostiles ? Mystère… Beaucoup s’accordent sur une défaillance technique. D’autres versions plus fantaisistes circulent dans la plongeosphère: le Zenobia servait de couverture pour transporter des missiles, ou bien on l’aurait fait volontairement chavirer dans le but d’une arnaque à l’assurance…
«Dans les bras de l’épave»
Trente-cinq ans plus tard, les plongeurs s’amusent à nager entre les camions toujours accrochés au flanc du navire, rouillés mais intacts. Les plus intrépides s’aventurent dans les salles les plus sombres du navire. Ils y accompagnent des mérous bruns ou des barracudas carnivores qui ont colonisé l’épave, où s’est développée toute une vie marine.
Andrei Pligin, un passionné de plongée âgé de 16 ans, remonte à la surface encore ému. Ce Russe aux yeux bleu azur n’est pourtant pas novice: c’est la 206e plongée qu’il effectue malgré son jeune âge. Il confie venir à Chypre une fois par an. «Ici, le climat est bon et il n’y a pas de courant: il suffit de se jeter dans les bras de l’épave», témoigne-t-il.
Le site attire 45 000 personnes par an, selon les autorités locales, qui appellent le gouvernement à agir contre la pêche illégale autour de l’épave, devenue le récif le plus important de l’île.
Neil Hope, journaliste spécialisé britannique, estime que Chypre devrait être davantage connu des plongeurs comme une destination pouvant rivaliser avec d’autres grands spots de plongée, tels que l’épave du cargo britannique Thistlegorm en mer Rouge, en Égypte ou celles qui gisent au large de l’île de Malte.
De fait, Chypre, «l’île d’Aphrodite» à l’abri des tumultes qui secouent le Proche-Orient voisin, table sur le tourisme pour relancer son économie mise à genoux par une crise financière sans précédent en 2013.
«Le Zenobia rapporte 14 millions d’euros par an», assure Jonathan Wilson, responsable d’une agence de plongée à Limassol, deuxième ville de l’île. Couler une autre épave pour les amateurs de plongée pourrait selon lui rapporter six millions d’euros de plus chaque année.